"il pouvait écrire sans être angoissé à la pensée
que sa propre action pourrait se concrétiser en
un objet réel quelconque" 1.
Dans la section précédente nous avons constaté combien le rôle de l’inconscient du lecteur est important en ce qui a trait aux interprétations possibles ainsi que le rôle de la déformation interprétative dans l’histoire même de la psychanalyse. Les sujets communs entre la lecture d’un texte et la psychanalyse sont nombreux surtout si nous avons un concept élargi du mot "texte" comme c’est le cas dans la traduction totale. En ce sens, l’essai de Carol Schreier Rupprecht 2 dédié aux interrelations de la traduction et de l’interprétation des rêves nous lègue une contribution précieuse. De telles interrelations, qui dans l’essai sont considérées comme des contributions potentielles à l’évolution de la théorie du rêve, peuvent, en ce qui nous concerne, être considérées d’une manière complémentaire: la théorie du rêve possède un potentiel considérable par sa contribution à la compréhension des mécanismes de traduction et de la lecture en particulier.
Commençons par l’argument de Freud qui:
Ein Traum ist in der Regel unübersetzbar in andere Sprachen und ein Buch wie das vorliegende, meinte ich, darum auch 3. |
Ce qui peut vouloir dire:
Il est impossible en règle générale de traduire un rêve dans une langue étrangère et c’est ègalement vrai, j’imagine, pour un livre tel que celui-ci. |
Comme vous pouvez le constater, si nous voulons le lire en ces termes, Freud lui-même est le premier, en un certain sens, à poser la base d’une vision de la traduction totale avec cette métaphore d’un rêve sous forme de texte. Le rêve est un de plusieurs types de textes, son interprétation est une de plusieurs formes de traduction et, pour être précis il s’agit de traductions multiples.
Premièrement le rêveur – traitant souvent de souvenirs fragmentaires d’images, de sons, quelquefois de conversations dans plusieurs langues parfois inventés, de scènes qui se produisent sans aucune logique évidente, d’odeurs, de sensations tactiles – doit utiliser des mots pour traduire ce matériel qui appartient à un autre code afin d’être capable de l’exprimer, de le dire, de le transcrire ou de le rapporter au psychanalyste: une véritable traduction intersémiotique. Deuxièmement le psychanalyste doit traduire le matériel tel qu’exprimé par le rêveur et reconstruire les pensées du rêve, i.e. le matériel mental que le rêveur a traduit en mots afin de pouvoir le décrire.
Freud affirme que les pensées du rêve et le contenu du rêve se présentent comme deux versions du même sujet en deux différents langages. Le contenu (ce que dit le patient) constitue une sorte de transcription (Übertragung) des pensées du rêve dans un autre mode d’expression. En comparant le prototexte et le métatexte, le traducteur (le psychanaliste) doit comprendre les caractères et les lois syntaxiques du rêve en utilisant un processus détourné 4.
Ce qui est considéré en textologie comme la stratègie de l’auteur, que le traducteur-critique essaie de dévoiler à partir du texte (le résultat), nous avons maintenant la stratégie de la manipulation des pensées inconscientes (contenu latent), que le traducteur-psychanaliste essaie de dévoiler en débutant avec le contenu déclaré du rêve (le résultat).
Selon la théorie de Freud, l’inconscient utilise une sorte de ‘traduction incompréhensible’ pour exprimer le matériel mental refoulé – comme il n’est pas convenant qu’Ego fonctionne – dans des formes d’actions symptomatiques, de rêves, de comportements inexplicables. Le métatexte d’une telle traduction incompréhensible s’appelle "contenu du manifeste" et la cible du psychanaliste est de le traduire à nouveau en "contenu latent". En dehors des dynamiques limitées entre psychanaliste et patient, nous pouvons dire que toute personne qui essaie de comprendre ses propres rêves en utilisant une clé interprétative fondée sur l’existence de l’inconscient et de l’expression de ses rêves, se trouve elle-même dans la même position que le lecteur-critique d’une traduction qui essaie de comprendre, à partir du résultat (métatexte), quelle stratégie de traduction avait été adoptée, sans la possibilité – accordée au critique de la traduction verbale – de comparer le métatexte au prototexte: un vrai processus de détective.
Les personnes qui désirent apprendre comment interpréter les rêves sont des traducteurs polyglottes qui font face à un texte en étant conscients de leur ignorance du code aussi bien que des termes lexicaux que syntaxiques. Cela peut se comparer à quelqu’un qui veut écouter le dialogue de deux personnes inconnues qu’il aurait rencontrées par hasard dont le code doit être déchiffré afin de pouvoir donner du sens au contenu de leurs dialogues.
Une autre similarité intéressante entre l’interprétation du rêve et la traduction se situe dans la distinction entre les processus primaire et secondaire. Dans la théorie du rêve, le processus primaire est la traduction du protexte en mots, alors que le processus secondaire transforme les mots – métatexte de l’opération précédente – en un nouveau prototexte, et son but est de produire un second métatexte qui, en plus d’être fait de mots, possède une cohérence et une cohésion textuelles.
Voyons quelques exemples pour clarifier ce que cela veut dire. Ici nous avons un rêve présenté selon les standards du processus primaire:
Promoteur du nettoyage des toilettes. Enlèvement de graffitis des espaces. Logiciels d’éducation. Diminution de la scatologie. |
Voici une traduction dans les standards du processus secondaire:
Un promoteur a été trouvé pour les toilettes publiques qui étaient toujours sales. Le promoteur, une compagnie de distribution en coopérative fourni les services de nettoyage et a aussi installé un tableau d’affichage pour les graffitis. Une enseigne avise que les graffitis écrits en dehors des espaces appropriés seront enlevés. Un moniteur électronique donne des informations détaillées, et les usagers peuvent demander de l’information spécifique par le biais d’un logiciel interactif en ligne, sur le sexe, sur la prévention des maladies transmises sexuellement et sur l’utilisation des toilettes de façon sécuritaire pour les autres usagers ou les nettoyeurs. Des études psychologiques ont conclu que, si l’espace pour les graffitis et les expressions scatologiques est institutionnalisé, les transgressions régressent, en conséquence le besoin d’utiliser des expressions scatologiques diminue et la qualité artistique des graffitis est améliorée. |
Le processus secondaire intervient pour remplir des brèches syntaxiques dans l’intelligibilité du texte primaire. Il existe une parenté très proche entre le processus primaire et la juste proportion aussi bien qu’entre le processus secondaire et l’acceptabilité. Le premier élément a pour but de changer le code du message, le deuxième de le rendre utilisable. Dans le deuxième cas le risque provient de la lisibilité du texte qui dans certains cas altère sa coincidence avec le prototexte (le rêve).
En d’autres mots, la cohésion textuelle qui dans le métatexte provient du processus secondaire ne fait pas toujours la paire avec la cohésion textuelle du prototexte. Quelquefois une telle cohésion est le résultat d’un effort de médiation exaggéré de la part du traducteur (ou du rêveur lorsqu’il décrit son rêve), qui incite à ajouter du matériel et à changer le prototexte afin de le rendre plus facile à lire.
L’extension de la traduction totale à l’expression verbale/esprit, aux dialectiques interprétation/rêve, bien qu’imprévue dans la formulation originale de la théorie de la traduction totale est, selon nous, tout aussi cohérente avec l’esprit d’une telle théorie que productive sur le plan de l’enrichissement réciproque de la théorie de la psychologie et des études en traduction, en particulier de la théorie de la lecture.
Bibliographical references
CALVINO I. If on a Winter's Night a Traveller, translated by William Weaver, London, Vintage, 1998, ISBN 0-7493-9923-6.
FREUD S.Die Traumdeutung, Leipzig, Deuticke,1900.
RUPPRECHT C. S. Deaming and the impossible art of translation, in Dreaming, Association for the Study of Dreams, vol. 9, n. 1, 1999.
1 Calvino 1998, p. 178.
2 Schreier Rupprecht, 1999.
3 Freud 1900, p. 104.
4 Su questo torneremo nelle prossime unità.
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