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Maintenant que nous avons pris connaissance de ce que certains chercheurs pensent de la lecture et de la perception du texte en général, examinons plus spécifiquement les répercussions de l’individuation du sens d’un texte en ce qui a trait à sa transposition et à son re-codage, dans la perspective des études en traduction.
Aleksandr Davìdovich Shvejcer a analysé ce problème en faisant d’abord une distinction entre la signification (znachie) et le sens (smysl). Les significations en tant que telles font référence à la structure concrète du langage. Les significations, en d’autres mots, sont tirées de signes purement linguistiques et doivent être recherchées uniquement dans le cadre du code auquel elles appartiennent. Puisqu’une vue du monde de la culture s’exprime par son langage naturel de même que par le biais de quantité de mots qui existent dans ce langage, sans oublier l’allocation de sememes exprimés dans les mots qui eux peuvent les générer, il n’est pas raisonnable de chercher la signification d’un mot dans un mot d’un autre langage ou d’une autre culture. Dans cette perspective, chaque mot a une seule signification relativement exacte exclusivement à l’intérieur du code linguistique de son propre langage.
Si l’on prend cet énoncé à la lettre, il serait présomptueux de planifier ou d’écrire un dictionnaire bilingue (comment serait-il possible de décrire la signification "exacte", ou au mieux la signification linguistique, d’un mot dans les mots d’un autre code linguistique?), alors qu’il serait un peu moins risqué de préparer des dictionnaires monolinguaux dans lesquels, à l’intérieur d’un même code, on essaierait de décrire la signification d’un mot par d’autres mots.
Essayons de démontrer une telle différence dans un texte. Shvejcer propose l’exemple suivant en utilisant les mots: tuer, meurtre et homicide. Alors que le verbe tuer est un terme générique et signifie "abattre" sans plus de spécification, par contre, en termes légaux meurtre signifie "meurtre prémédité" et homicide "meurtre non-prémédité". Le trait distinctif entre meurtre et homicide est identifié par la volonté ou le manque de volonté associé à l’acte, mais ça ne signifie pas que dans tout co-texte – contexte de discours – il soit nécessaire de spécifier "meurtre prémédité" ou meurtre non-prémédité".
Par exemple, dans la phrase "Est-ce que je suis supposé avoir commis un meurtre?", la situation décrite dans le texte jusqu’à ce point neutralise les distinctions prémédité/non-prémédité. Par conséquent une traduction telle que: "Est que je suis supposé avoir commis un meurtre délibéré?" paraitrait très étrange.
Il y a par contre, des cas dans lesquels les distinctions prémédité/non-prémédité peuvent être utilisées, et par conséquent la compréhension du texte est possible uniquement en prenant les distinctions en compte. Dans la phrase "Les avocats du Pentagon prennent vraiment tous les moyens pour prouver que le massacre de Songmy était une tuerie, et non pas des meurtres"; une telle distinction est fondamentale et par conséquent le traducteur doit aussi la reconnaître.6
Il existe des cas dans lesquels la différence entre la signification et le sens est plutôt marquée, mais le contexte (et la similarité des deux cultures en ce qui a trait à la possibilité qu’une telle situation contextuelle se produise) peut être utile au traducteur.
Dans la situation pratique dans laquelle quelqu’un reçoit un appel téléphonique qui devrait être fait à un autre destinataire, les expressions suivantes sont utilisées dans divers langages:
Vy ne tuda popali
You must have the wrong number
Vous devez avoir le mauvais numéro
Sie haben falsch gewählt
Lei ha sbagliato numero
Dans les cultures modernes l’usage du téléphone est très répandue et il est facile pour le lecteur de comprendre quelle situation est semblabe à celle décrite et de la ré-interpréter en utilisant des mots qui sont fort probablement employés dans la métaculture pour répondre à la situation donnée dans la protoculture. Par conséquent, une traduction de la réponse typique Russe telle que celle-ci:
You have not hit there. Vous ne l’avez pas frappé là.
aurait une résonnance très étrange. Du point de vue de l’efficacité de la communication il est de beaucoup préférable d’insérer la phrase: "Vous devez avoir le mauvais numéro" dans le texte, sans penser au jumelage des problèmes de linguistique aux mots simples.
D’autre part, cet argument nous invite à considérer la signification au-dessus et au-delà des actes de discours, aussi bien quà leur marquage. La phrase Russe Vy ne tuda popali n’est pas marquée, i.e. elle constitue ce que toute personne pourrait plus que probablement dire dans une situation telle que celle décrite. Mais imaginons que la réponse est marquée à l’autre bout de la ligne, que, par exemple, quelqu’un dit au téléphone: La personne qui signale ce numéro veut ordinairement parler à quelqu’un d’autre.
Dans ce cas, une traduction adéquate doit prendre en compte un tel marquate (ici c’est un signal pour le lecteur de se rendre compte que la personne qui parle a une façon inhabituellle de parler, passant sous silence la raison d’une telle étrangeté) et d’essayer de le reproduire dans un échange de paroles marquées de la même manière si possible.
Nous découvrons que d’assumer que le sens peut être unique est une illusion, même si nous progressons du niveau du code linguistique à celui du niveau du code sémiotique. Ce qui se produit, en ce qui concerne la signification, entre deux codes linguistiques – il arrive qu’il soit impossible de trouver un "équivalent" à un mot d’un code linguistique dans un autre code – se produit aussi pour le sens. Il se peut que l’on trouve une très importante différence dans le sens entre deux actions parfaitement identiques énoncées dans deux codes sémiotiques. Par exemple, de placer ses mains dans ses poches, dans certaines cultures, pour un adulte mâle a une connotation de geste rude, de mauvais goût, alors que dans d’autres cultures, c’est accepté comme un comportement social normal. Cette différence se produit sans prendre en considération toutes les cultures contemporaines dans lesquelles il n’y a ni pantalons ni poches, ni cultures des temps passés.
Il n’y a pas lieu d’être surpris si même la simple phrase "Vous devez avoir un mauvais numéro" est perçue, dans certaines cultures, comme une communication rude ou hostile. Quelqu’un pourrait être offusqué parce le numéro signalé n’est pas "bon" alors qu’en réalité il s’agit d’un numéro éthiquement correct qui a le défaut de ne pas être utile pour établir la communication avec un autre téléphone en particulier.
Bibliographie
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