«Hay una buena palabra española para eso,
usted la desconocerá, claro, y no resulta fácil de traducir
ni de explicar, como todos los mejores vocablos» 1.
"Il existe un très bon mot en Espagnol pour désigner ceci,
bien sûr vous ne le connaissez pas et il n’est pas facile à traduire
ou à expliquer, comme le sont tous les meilleurs termes" 2.
Dans la section 18 de la première partie du cours nous avons parlé de la notion de "sémiosphère". Une telle vue est particulièrement utile ici pour esquisser les stratégies de l’adaptation en les plaçant dans notre propre continuum de l’"appropriation de l’étranger" versus "l’insertion de l’étranger".
En utilisant une métaphore biologique, chaque cellule dans l’univers de la signification, chacun de ses systèmes, est caractérisé par une culture spécifique, un mode particulier de perception de la réalité. Lorsque nous parlons d’une "cellule", nous utilisons un terme très générique; il peut faire référence à l’individu qui, avec son propre langage intérieur est le destinataire unique possible d’un ensemble très évident de communications dont ce même individu est lui même l’expéditeur, mais il comprend aussi des entités super individuelles, depuis le couple jusqu’à la famille, à la communauté (religieuse, politique, culturelle, éducative, affaires etc.), au groupe régional, à la nation, au continent, etc.
De l’intérieur de chaque cellule, tout ce qui apparaît à l’extérieur de ses limites est perçu comme étant "étranger". C’est une sorte d’oxymoron vivant à l’intérieur d’une culture parce qu’il s’agit d’un "centre périphérique" ou d’une "périphérie centrale", si vous préférez: le traducteur est un messager de la culture frontière. Sans aller dans les détails de la traduction linguistique, le mot "traducteur" signifie pour nous, pour le moment, toute personne ou toute entité qui a une vision au delà de sa propre microsphère et qui est intéressée et curieux de savoir ce qui existe au delà. Une telle culture frontière incite les personnes qui en sont pénétrées à agir comme médiateurs, d’une communication entre l’intérieur et l’extérieur de la microsphère.
Une telle médiation posséde plusieurs possibilités pour son actualisation, qui peuvent être placées sur un axe dont les extrêmes sont, à une extrémité, la recherche de l’élément étranger dans la culture étrangère, pour l’insérer dans sa propre culture aussi intacte que possible; et à l’autre extrémité, la dilution, l’homogénisation, le démembrement, la dé-connotation de l’élément étranger de manière à pouvoir l’insérer dans sa propre culture sans expliquer une telle insertion, en la passant comme étant la sienne, et non pas en tant qu’élément étranger.
En synthésisant, nous obtenons deux attitudes: une attitude centripéte, qui tend à reconnaître les différences qui entourent les systèmes étrangers et les compare aux caractéristiques de notre propre sphère; et une attitude centrifuge, qui tend à projeter les régularités, les catègories, et les paramètres actifs tout autour de notre propre système. La première attitude mesure constamment les limites de sa culture et les compare continuellement avec les cultures étrangères: c’est la reconnaissance de nos dynamiques propres et étrangères. La deuxième attitude, au contraire, n’est pas curieuse envers la diversité, elle est tout simplement anxieuse d’appliquer ses propres catégories à la culture étrangère – uniquement en autant que c’est utile ou même indispensable –, d’homogénéiser les différences pour les rendre semblables à celles auxquelles nous sommes habitués: il s’agit de l’appropriation de la culture étrangère.
L’alternative entre les deux attitudes est basée sur deux sortes de facteurs: un de nature sociale et un autre de nature individuelle. En ce qui a trait aux relations de pouvoir entre les cultures (l’attitude superinviduelle), il est très intéressant de prendre connaissance de ce que le sémioticien Israélien Itamar Even Zohar 3 nous dit sur sa vision du "polysystème littéraire".
Even-Zohar décrit l’ensemble de l’univers de la litérature (signifié dans un sens très large: nous pensons directement à l’univers de la signification) comme un polysystème, d’une manière qui n’est pas très différente de la notion de "sémiosphère" utilisée par Lotman. À l’intérieur du polysystème, les interrelations entre les systèmes individuels dépendent de leur condition statique ou dynamique individuelle et de leur positon centrale ou périphérique. Plus un système culturel est périphérique par rapport au "centre" culturel, moins il sera auto-suffisant et le plus réceptif il sera à des situations nouvelles et innovatrices (dynamique). Plus un système culturel est central et stable, moins il recherche de nouveaux éléments en dehors de lui même, plus faible est son impulsion dynamique vers le renouveau (statique).
Even-Zohar nous indique qu’il existe un sous-système dans chaque système culturel, qui est constitué de "littérature traduite". Puisque la "littérature traduite" représente l’introduction d’éléments étrangers de systèmes externes dans une culture, i.e. ceci représente un potentiel d’innovation, dans les systèmes centraux culturels le sous-système de littérature traduite est périphéral, alors que dans les systèmes périphéraux culturels le sous-système de la littérature traduite est central.
Il est quelquefois possible que la position d’une culture parmi d’autres cultures, en termes de relations de pouvoir, influence la manière par laquelle l’idée même d’une adaptation traductionnelle est planifiée. Lorsqu’une culture extérieure est centrale, et est considérée comme un modèle maître important, les textes issus de cette culture ont tendance à être traduits en conservant plusieurs éléments qui sont typiques de la culture originale. Les éléments qui sont difficiles à comprendre dans la culture cible, sont, toutefois un sujet très intéressant en tant que parties de la culture extérieure prise comme modèle par notre propre culture. Au contraire, lorsqu’une culture extérieure est périphérique et que notre propre culture est centrale, l’attitude de l’adaptation traductionnelle conserve souvent très peu d’intérêt pour les détails exotiques ou les caractéristiques qui rappellent l’idée d’"étranger" au lecteur: une adaptation qui homogénise les éléments étrangers avec notre propre culture est préférée, l’élément étranger est dilué et devient méconnaissable, les bons élément qui proviennent de l’extérieur sont appropriés sans que nous sentions aucun besoin de reconnaître leur origine ou le fait même qu’ils aient été importés.
Jusqu’à maintenant nous avons revu les facteurs de caractère sociaux et internationaux qui influencent les relations d’adaptation entre les cultures. Il existe, en outre, un ensemble de facteurs qui déterminent la stratégie d’adaptation basée sur des considérations de caractère individuelles par le traducteur (ou l’éditeur). À ce sujet, nous suivons la trace des travaux de Toury et en particulier, la distinction qu’il fait entre les catégories de suffisance et d’acceptabilité.
Lorqu’un texte doit être adaptè à une culture, un choc de structures textuelles et linguistiques se produit. Le système linguistique étant aussi une façon de cataloguer la réalité, il est évident qu’il existe des caractéristiques spécifiques à la culture des systèmes linguistiques. Pour cette raison, on retrouve deux attitudes contrastantes d’adaptation d’un texte: la première attitude met en place le prototexte et sa conservation maximale au cours de l’adaptation, comme étant l’élément dominant, malgré son utilité potentielle, ou pas, dans la culture cible: il s’agit de l’attitude la plus philologique que Toury appelle "suffisance". La deuxième attitude met en place la culture cible et l’utilisation du texte qu’elle contient comme son élément dominant, et par conséquent elle permet de prévoir des exceptions à la reproduction philologique du prototexte au bénéfice d’une meilleure lisibilité: c’est certainement l’attitude la plus pragmatique que Toury appelle "acceptabilité".
Depuis 1989 la distinction de Toury est largement acceptée entre le principe de suffisance 4 et le principe d’acceptabilité. Si le principe ou la norme de suffisance est appliquée, un traducteur se concentre sur les caractéristiques distinctives du texte original: son langage, son style et ses éléments spécifiques reliés à la culture. Si le principe d’acceptabilité est celui qui prévaut, le traducteur vise à produire un texte compréhensible dans lequel le langage et le style sont complètement en accord avec les conventions linguistiques et littéraires de la culture cible. Les deux principes ne s’excluent pas l’un l’autre: un traducteur peut vouloir utiliser les deux normes en même temps"5.
Dans un essai subséquent (1993), Toury illustre la différence, dans la science de la traduction, entre les deux tendances: la première, définie comme "orientée vers la source" (orientée vers le prototexte), traite de la traduction de textes littéraires ("traduction de textes qui sont de nature littéraire eux-mêmes"). La deuxième, définie comme "orientée vers la cible" (orientée vers le métatexte), a pour but de créer des métatextes littéraires ("créer des textes cibles littéraires") 6.
La façon avec laquelle Toury présente une telle distinction peut sembler complexe, dû peut être au style polémiste qu’il choisit. Afin d’être explicite, selon Toury, la première tendance vise la création de traductions qui ne sont pas des textes (nous n’avons simplement qu’à penser, par exemple, aux traduction interlinéaires qui nous aident à comprendre le texte original mais qui, toutefois, n’ont aucun sens par elles mêmes des points de vue de la syntaxe ou du style, i.e. elles ne sont pas des texte dans le sens étymologique du terme). Dans son essai fondamental de 1995 nous découvrons qu’il a une polémique implicite avec Popovic et sa perspective de "créolisation".
Bibliographie
DELABASTITA D. There's a Double Tongue. An Investigation into the Translation of Shakespeare Wordplay with Special Reference to Hamlet. Amsterdam-Atlanta (Georgia), Rodopi, 1993, ISBN 90-5183-495-0.
EVEN-ZOHAR Polysystem Studies, in Poetics Today, 11, 1, Tel Aviv, The Porter Institute for Poetics and Semiotics, 1990, ISSN 0333-5372.
KOMISSAROV V. N. Teorija perevoda (lingvisticeskie aspekty). Moskvà, Vysšaja škola, 1990. ISBN 5-06-001057-0.
MARÍAS J. Negra espalda del tiempo, Punto de lectura, 2000 (original edition 1998), ISBN 84-663-0007-7.
MARÍAS J. Dark Back of Time, New York, New Directions, 2001 (translated by Esther Allen), ISBN 0-8112-1466-4.
TOROP P. Translation As A Working Principle Of Culture, 2001.
TOURY G. Descriptive Translation Studies and Beyond, Amsterdam-Philadelphia, Benjamins, 1995, ISBN 90-272-1606-1.
1 Marías 2000, p. 95.
2 Marías 2001, p. 78.
3 Even-Zohar 1990.
4 On this there is agreement between even the linguistic-oriented researchers: «Adekvatnyj perevod - perevod, obespečivajuš čij pragmatičeskie zadači perevodčeskogo akta na maksimal´no vozmožnom dlja dostiženija čtoj celi urovne ekvivalentnosti, ne dopuskaja norm i uzusa PJA [...]». Komissarov 1990, p. 246.
5 van Leuven-Zwart, p. 93.
6 Toury 1993, p. 17.
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