"Puisque le Latin a été si facile pour moi, je me suis habitué à une double existence avec lui. Mes oreilles ont suivi son enseignement, de sorte que si on m’appelait je pouvais toujours répondre. Mes yeux lisaient un petit livre que je tenais ouvert sous mon pupitre" 1.
Un des types de texte traduit qui arrive très près du pôle de l’oralité se retrouve dans les films doublés, ou le mot "doublage" identifie la technique de postsynchronisation qui consiste à effacer la voix de l’acteur original qui prononce son texte durant les prises de vues, et sa substitution par un autre enrégistrement.
Il existe plusieurs types de doublage. Le doublage d’auteur est celui par lequel le directeur lui-même décide que les voix des ses acteurs seront doublées, soit avec la voix du même acteur, ou avec les voix de doublures. Un tel type de doublage, qui normalement se produit dans le même langage, est une sorte d’auto-traduction intralinguale et mérite un traitement particulier, puisqu’il est une partie de la création originale. Le directeur décide de monter son film avec des voix doublées, de sorte que le spectateur ou le critique peuvent juger le texte du film dans son ensemble, et les deux savent que l’auteur est d’accord avec ce qui leur est présenté.
L’une des raisons pourquoi le directeur peut décider de faire doubler le texte d’un personnage donné provient du désir de donner à ce personnage une voix particulière, différente de celle de l’acteur choisi. Le timbre de la voix, son intensité, la prononciation, les inflections, les pauses, les soupirs sont tous des caractéristiques qui participent à la formation de la poétique des personnages des films; pour cette raison il est sensé de dire que le directeur peut désirer et être en mesure de prendre des décisions à ce sujet, de la même manière qu’il participe aux décisions en ce qui a trait au maquillage, aux costumes, au casting.
Dans la plupart des cas, toutefois, le doublage est un processus dans lequel le directeur et les auteurs n’ont rien à voir, et ceci est dû au désir de proposer une traduction interlinguale des dialogues afin de faciliter la fruition de l’oeuvre dans des pays dont les cultures et les langages sont différents du langage original du film. Les acheteurs de doublages ne sont pas des directeurs mais bien des distributeurs; ils prennent ces décisions dans le cadre de choix généraux en marketing ou en commercialisation du produit qui s’appelle film.
Lorsqu’il propose un film à une culture dans laquelle le langage parlé du film est inconnu pour la plupart des gens, le distributeur a deux techniques à sa disposition, l’une est alternative à l’autre: le doublage et le sous-titrage. Dans certains pays (Italie, Allemagne, Espagne, France) la tradition du doublage est prévalente, alors que dans d’autres pays (les pays Scandinaves, les Pays-Bas, la Suisse, les pays Slaves) les spectateurs préfèrent ordinairement les films avec sous-titres.
Les distributeurs choisissent ordinairement d’éviter d’essayer de modifier les habitudes des spectateurs des divers pays, préférant faire des exceptions en leur faveur. C’est pourquoi grâce à une telle inertie dûe à des raisons commerciales à courte vue, ils continuent à doubler les films dans les pays ou le doublage a été utilisé dans le passé et ou souvent c’était fait pour des raisons historiques précises. En Italie par exemple, le doublage a eu son origine durant la période Fasciste, alors que le régime voulait contrôler et minimiser les influences de cultures étrangères.
Au cours de cette période ils en sont venus au point ou ils ont transformé, dans une version locale, des noms d’endroits traditionnellement non-Italiens comme s’ils voulaient enlever des traces culturelles encombrantes, en les transformant par exemple, Courmayeur en "Cortemaggiore". En Espagne une attitude similaire de doublage convenant a été imposée durant la dictature Fasciste de Francisco Franco: les quelques films non-Espagnols admis dans les cinémas Espagnols étaient doublés dans le but – selon Ballester – de minimiser l’influence internationale (1995: 175-177).
En fait, le doublage est une technique de traduction qui vise spécifiquement à cacher la nature du texte en tant que texte traduit. Tel que l’écrivent Shuttleworth et Cowie, le doublage «est conçu aux fins de donner l’impression que les acteurs qui sont vus par les spectateurs parle réellement en TL« 2. Le doublage est considéré réussi quand les mouvements des lèvres de l’acteur sont coordonnés avec les sons produits par le doubleur, particulièrement les mot prononcés.
Un doublage de haute qualité a par conséquent, pour but de prétendre que l’acteur qui joue fait son numéro directement dans le langage de la culture cible. En d’autres mots, le but du doublage interlingual est de nier la nature traduite du texte du film.
Selon Goris (1993: 170), parmi les désavantages du doublage on retrouve aussi la perte de l’authenticité parce qu’un très grand nombre d’acteurs de plusieurs nationalités sont représentés dans la culture cible par le timbre et les caractéristiques récitatives d’un nombre restreint de doubleurs. Le fait que dans une culture donnée, le jeu d’un acteur soit présenté par la prestatation d’un autre acteur, qui n’a reçu aucune instruction de l’acteur original ou du directeur pour le ou la représenter, constitue tout au moins une chose étrange, et est considéré comme un abus (surtout de la part des distributeurs). Puis le fait que dix ou cinquante acteurs dans une culture donnée soient doublés par la même voix est un autre élément de confusion et de manipulation de texte, qui se produit alors que l’audience en est complètement inconsciente.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas d’accord du tout avec l’énoncé de Baker et Hochel qui déclarent qu’un film ou un programme doublé est toujours présenté ouvertement et est perçu comme une traduction 3.
Un tel énoncé est basé sur une supposition erronée: que le mouvement des lèvres dévoile toujours la nature fausse du doublage:
dans un film doublé nous sommes constamment conscient de la présence d’un langage et d’une culture étrangers par les images et les mouvements non-coordonnés de la bouche des acteurs 4.
Ce serait l’équivalent de dire que le doublage ne donne pas l’illusion d’un film local, à moins et à la condition qu’il soit mal fait, et par conséquent quand les mouvement des lèvres ne sont pas coordonnés au son du texte traduit. En s’en tenant aux conséquences extrêmes de l’argument de Peter Fawcett, on devrait déduire que le doublage est innoffensif sur le plan de la falsification culturelle à la condition qu’il soit produit d’une mauvaise manière, en dénonçant ouvertement de cette façon sa nature d’imitation infructueuse (voulu comme une contreproposition à l’"original"). Mais je ne crois pas que Fawcett veut dire que le doublage doit être produit d’une mauvaise façon pour être acceptable.
Dans la prochaine section nous continuerons la discussion à propos du doublage, en étudiant ses différences en relation avec les divers types de textes.
Bibliographie
BAKER MONA e HOCHEL BRAŇO Dubbing, in Routledge Encyclopedia of Translation Studies edited by Mona Baker, London, Routledge, 1998, ISBN 0-415-09380-5, p. 74-76.
BALLESTER ANA The Politics of Dubbing. Spain: A Case Study, in Translation and the Manipulation of Discourse: Selected Papers of the CERA Research Seminars in Translation Studies 1992-1993, Leuven, CETRA, p. 159-181.
CANETTI ELIAS Die gerettete Zunge. - Die Fackel im Ohr. - Das Augenspiel, München, Carl Hanser Verlag, 1995, ISBN 3-446-18062-1.
CANETTI ELIAS The Tongue Set Free. Remembrance of a European Childhood, translated by Joachim Neugroschel, in The Memoirs of Elias Canetti, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1999, ISBN 0-374-19950-7, p. 1-286.
FAWCETT PETER Translating Film, in On Translating French Literature and Film, edited by Geoffrey T. Harris, Amsterdam, Rodopi, 1996, p. 65-88.
GORIS O. The Question of French Dubbing: Towards a Frame for Systematic Invetsigation, in Target, 5:2, p. 169-190.
SHUTTLEWORTH MARK e COWIE MOIRA, Dictionary of Translation Studies, Manchester, St. Jerome, 1997, ISBN 1-900650-03-7.
1 Canetti 1999: 249.
2 Shuttleworth and Cowie 1997: 45
3 Baker and Hochel 1998: 76.
4 Fawcett 1996: 76.
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