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35 – Critique de la Traduction: Toury, Mounin

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«L’un est sa représentation tel qu’il est dans la situation présente avec l’omission de peut-être; l’autre est la traduction de la pensée en images visuelles et en discours
»1.

 

Maintenant que nous en sommes presqu’à la fin de ce cours, le rôle que la traduction joue après qu’elle est devenue un ouvrage terminé, reste à être examiné, alors qu’elle devient une partie de la sémiosphère, et qu’elle est reçue dans la culture que le traducteur a considérée comme étant celle qui "reçoit". Nous sommes dans le domaine de la critique de la traduction.

 

Ce secteur n’est pas largement développé, surtout parce qu’il n’y a pas de connaissance étendue de l’existence d’un système constitué de littérature traduite. En plusieurs occasions la critique littéraire consacrée aux ouvrages traduits ne se démarque pas de la critique littéraire générale, parce que l’action de traduction n’est pas reconnue tel un élément central dans l’ouvrage traduit, qui est révisé sans tenir compte de ce qui pour la plupart des gens est un détail négligeable : l’ouvrage n’est pas un original et a subi une transformation radicale dans le langage, dans le contenu, dans la forme.

 

Snell-Hornby (1988), en accord avec les comparatistes traditionnels, tend aussi à étendre le concept de la critique générique à la traduction, en faisant l’hypothèse que la critique de la traduction est simplement de la critique littéraire appliquée à la traduction.

 

D’autre part Gideon Toury (1980) a adopté une position radicalement différente : il a été le premier à élaborer une vision de la critique de la traduction en accord avec la direction de la nouvelle discipline des études en traduction. La critique de la traduction, selon lui, consiste à faire une étude des métatextes qui ont été produits dans une culture cible donnée. Une telle analyse aurait pour but de trouver des constances dans le comportement de la traduction en général, et d’autre part, de trouver des régularités (constances, normes) qui peuvent contribuer à constituer un comportement de traduction qui soit spécifique à la culture : quels sont les paramètres qui font qu’un texte donné est accepté dans une culture donnée?

 

Une telle approche produit des échos profonds de la vision culturologique de la science de la traduction, et elle est encore considérée valide par un grand nombre de chercheurs. En bout de ligne vous ne pouvez plus parler de critères de la critique de la traduction en termes absolus, parce que toute évaluation prend en considération – ou devrait prendre en considération – la spécificité culturelle des canons impliqués dans toute action de critique. Autrement dit, ce qui est considéré comme une "bonne" traduction dans un pays peut aussi être considérée "pas bonne du tout" dans un autre pays.

 

Une culture qui affronte le problème de la critique de la traduction sans attacher aucun intérêt au prototexte, i.e. une critique axée sur le métatexte, risque de favoriser, selon Toury, l’oblitération de la production littéraire. Quand vous analysez les traductions Anglaises de certains haiku, et que vous réalisez que les dix-sept syllabes que les prototextes doivent contenir – éléments caractéristiques des haikus – n’ont pas été respectées, Toury fait l’observation qu’un tel manque de préservation est en accord avec une critique orientée uniquement sur le métatexte. En se basant sur le canon de la culture cible, le trait fondamental absent qui distingue la poésie haiku n’est pas nécessairement un défaut, pourvu que de tels textes soient capables de fruition. Le risque d’homogénéisation littéraire impliqué dans une telle tendance critique est auto évident.

 

Dans son ouvrage de 1995, Toury présente la théorie des normes de la critique de la traduction. Elles ne sont pas bien sûr, des normes telles que les normes applicables au travail d’un critique ou d’un traducteur. Ce sont plutôt des constances, des régularités qui peuvent être détectées. La critique de la traduction, qui prend en charge la tâche de rechercher de telles constances, est utile à la science de la traduction dans un sens général, parce qu’elle recherche des constances de comportement de la traduction, faisant ainsi une contribution à sa définition (et non pas à sa réglementation).

 

L’un des protagonistes de la science de la traduction contemporaine est sans doute le chercheur Slovaque Anton Popovič et son oeuvre, et en particulier son livre qui est déjà un classique Teória umeleckého prekladu (1975), i.e. Théorie de la traduction littéraire. Même dans le domaine de la critique sa contribution est essentielle.

 

En relation avec le problème de la distance historique entre le prototexte et le métatexte, Popovič situe les métatextes sur le continuum de la l’historisation-modernisation (Popovič 1980: 122-127). J’ajoute que l’approche historisante coďncide ordinairement avec les besoins de la philologie, et de l’attention à apporter au prototexte, alors que la modernisation remplit les besoins de la lisibilité et de la rentabilité.

 

De plus ce qu’on appelle le "vieillissement" des traductions est une donnée empirique qui incite Popovič ŕ réfléchir sur la façon dont une culture reçoit un texte traduit (129). Le fait que, par exemple, la traduction d’une œuvre classique produite il y a un siècle puisse ne plus être considérée agréable à lire et l’utilisation d’une nouvelle traduction plus "moderne" constitue par conséquent une indication que le canon de réception d’une culture est un facteur déterminant, que le canon pourrait être différent (et l’est aussi dans des pays différents), et qu’il change avec le temps. Une approche diachronique contrastante (la comparaison du vieillissement des traductions de différents âges, pour vérifier laquelle vieillit le mieux et, si possible, pourquoi) est une façon de surmonter l’obstacle que le critique retrouve dû à l’implicite culturel (le phénomène qui pourrait vous faire affirmer que le texte est "beau parce qu’il est beau, parce qu’il est évidemment beau").

 

Selon Popovič, l’interaction culturelle de laquelle les traductions sont un exemple, produit ce qu’on appelle la "créolisation", dans laquelle le méta texte est produit par une synthèse de la structure du prototexte et de la structure de la culture cible. Dans le cadre d’une telle interaction, Popovič établit une liste de trois possibilités :

  • la culture du prototexte est plus forte que la culture du métatexte; dans ce cas la structure du prototexte a un effet dominant dans le métatexte;
  • la culture du métatexte est plus forte que la culture du prototexte; dans ce cas la structure de la culture cible a un effet dominant dans le métatexte; ceci, par conséquent, ne répond pas aux besoins philologiques, qui tendent à être extrêmement "lisibles";
  • les deux cultures sont de même force, par conséquent le méta texte est une synthèse des influences des deux cultures.

Comme vous pouvez le constater, les dialectiques mien/l’autre exposées par Lotman, déjà mentionnées dans une autre partie du cours, sont aussi

adoptées par Popovič. Mais d’aprčs le chercheur Slovaque, les éléments mien et autre doivent être analysés non pas en termes de dénotation, mais bien de connotation. La ressemblance plus ou moins grande des éléments textuels aux éléments du prototexte, doit être analysée sur la base de la signification particulière d’un mot ou d’une expression dans le cotexte et le contexte, i.e. son système de valence (133).

 

Toury critique la notion de "créolisation". Selon le chercheur Israélien,

 

Ce qui est totalement impensable c’est que, d’une certaine manière, la traduction puisse planer entre des cultures : aussi longtemps qu’une interculture (hypothétique) ne s’est pas cristallisée en une entité systémique autonome (cible!), i.e. en des processus analogues à de la pidgination et de la créolisation, elle est nécessairement une partie d’un système existant (cible!) 2.

 

Mais dans ma perspective il s’agit plus d’un débat terminologique que d’une différence théorique substantielle.

 

Puisque la plupart des textes ne sont pas traduits en une quelconque culture cible, la "filtration" est une forme de (non) traduction, et est une expression significative du canon qui prévaut dans une culture donnée, et de l’habilité d’une telle culture à recevoir les autres cultures. L’énoncé de Mounin est placé dans cette vision systémique (même s’il ne se considère pas lui-même dans cette situation), que la "philologie est traduction", parce qu’il s’agit d’une sorte d’attention pour un texte après sa création et en même temps la préparation de sa publication future sous forme d’un métatexte (Mounin 1963 : 242-243).

 

Bibliographie

 

FREUD SIGMUND, L’interpretazione dei sogni, in Opere, vol. 3, Torino, Boringhieri, a cura di C. L. Musatti, 1966.

FREUD SIGMUND, The Interpretation Of Dreams, translated by A. A. Brill, London, G. Allen & Company, 1913.

CHAMPOLLION YVES Wordfast, available in the world wide web at the address www.wordfast.org, consulted 23 May 2004.


1 Freud 1900: 465.
2 Toury 1995: 28.


 



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