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31 - L’Approche du Haut vers le Bas dans les Relations de Changements

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«Ese ojo sin visión era físicamente perfecto, sólo que no estaba

conectado con el cerebro, y así no registraba ninguna imagen»1.

"L’oeil aveugle était physiquement parfait mais il n’était

pas relié au cerveau et n’enrégistrait pas d’images"2.

Le modèle Leuven-Zwart que nous avons vu dans la section précédente prend en considération les caractéristiques d’un texte a priori et, éventuellement, tente de déterminer les conséquences générales. Le modèle chronotopique de Torop d’autre part, commence le travail par une analyse orientée vers la traduction du texte en cause et, quand les principales caractéristiques d’éléments isolés ont été identifiés dans une vue d’ensemble systémique (avec une référence au système-texte spécifique), il vérifie les changements dans les éléments poétologiques du texte causés par les changements. Il s’agit donc d’une approche du haut vers le bas, en analysant les détails uniquement lorsque leur importance systémique a été identifiée.

Dans l’analyse chronotopique, l’une des principales difficultés consiste à suivre la piste d’un changement fait à des éléments linguistiques et les conséquences structurelles qui en résultent. Une analyste orientée vers la traduction doit, par conséquent, identifier l’élément dominant et les éléments sous-dominants d’un texte donné et exposer leur expression sur le plan linguistique. Voici quelques-unes des principales catégories:

Les mots conceptuels.

Il s’agit de la plus simple catègorie. Par exemple, si l’élément dominant d’un texte constitue un thème en faveur de la paix, des mots comme "paix", "guerre", "armes", "désarmement", etc. sont évidemment importants, non pas pour leur forme, mais parce que, conceptuellement, ils identifient des sujets associés directement au thème.

Ces mots sont importants non pas pour leur capacité d’expression, non pas parce qu’ils relient des éléments éloignés de la structure du texte, mais parce que leurs significations exprime directement des concepts systématiquement importants pour le texte. La manipulation de ces mots a un impact sur les contenus du texte.

Les expressions fonctionelles.

Les expressions fontionelles peuvent aussi être définies comme des mots ponts ou des détails qui font allusion, parce qu’ils sont des mots par eux-mêmes tout à fait sans importance, qui, toutefois, sont semés stratégiquement partout dans le texte afin de relier physiquement, par le biais de leur apparence répétitive, des zones éloignées du texte, afin de créer un leitmotiv, tel des "rimes intérieures" (attention: des rimes non pas de son mais de signification) qui fontionnent comme des références intra-textuelles. Par exemple imaginons un article politique sur le Danemark, qui commence par la phrase "Il était une fois au Danermark" et qui à la fin se termine par la phrase "Au Danemark, il était une fois". La répétion de la phrase (dans une forme modifiée ou non modifiée, qui n’est pas une phrase très significative par elle-même) ne vise pas à exprimer une notion, mais à créer une référence interne, à donner une cohésion au texte. La manipulation de ces expressions produit un impact sur la structure du texte.

 

Domaines expressifs.

Une autre catégorie englobe les domaines expressifs qui sont constitués de répétitions des mots, des idiomes, des phrases, des formes grammaticales, des répétitions dont la signification est détectable statistiquement et qui l’est aussi par un lecteur attentif, par la façon dont ils peuvent être identifiés dans une lecture normale. Lorsqu’on compare cette catégorie à la précédente, la différence réside dans l’absence de références internes; elles sont typiques de l’expressivité d’un auteur, elles sont des caractéristiques idiomorphiques du style de l’auteur modèle. La manipulation de ces expressions produit un impact sur les éléments poétologiques du texte

Déictiques.

(Du Greck deiktikós, dérivé de deíksis "indication", dérivé de deíknumi "Je montre".)

Ce sont des éléments linguistiques qui font référence aux (ou, encore mieux, prennent pour acquis) circumstances physiques de l’acte de discours en des termes absolus, non relatifs, par exemple, les pronoms personnels, les adjectifs démonstratifs, quelques adverbes: ici, maintenant, après, avant, là, au-dessus, en-dessous, ceci, cela, vient, quitte, etc. Les déictiques réflètent une "physique naïve d’espace et de temps" 3, naïfs parce qu’ils prennent pour acquis que certains concepts exprimés par les déictiques, relatifs par définition, peuvent être compris par celui auquel ils sont addressés (lecteur ou écouteur), même s’ils sont implicites en termes absolus. C’est aussi naïf qu’un enfant qui, quand on lui demande au téléphone "ou est-tu"? répond "je suis ici", en prenant pour acquis que l’autre personne connait nécessairement les coordonnées de l’espace temps (chronotropique) de l’enfant. Puisqu’ils réflètent une relation individuelle de l’auteur modèle ou d’une personne envers une situation donnée, la modification des déictiques a des répercussions sur la relation dépeinte entre des individus, sur la psychologie individuelle d’une personne ou de l’auteur.

Intertextualité et realia.

Les références intertextuelles et les realia sont des éléments qui caractérisent les relations d’un texte (et d’une culture) avec d’autres cultures. En conséquence, la manipulation de telles expressions a un impact sur la relation entre les systèmes culturels, i.e. sur la psychologie de groupe d’éléments de la culture du texte.

Ces cinq catégories fondamentales de l’analyse chronotopique peuvent être placées avec le continuum du soi-même versus l’autre, ou "soi" signifie "typique du prototexte", i.e. nous sommes aux extrêmes de l’auteur et de la culture source, alors qu’"autre" signifie "typique du métatexte", i.e. nous sommes sur le pôle du traducteur et de la culture cible. La possibilité de placer ces catégories sur l’axe soi-même versus l’autre est un symptome du fait qu’elles sont chronotopiques, i.e. insérés dans l’encadrement de l’analyse spécifique d’un texte (et de son actualisation).

Il est important de bien comprendre que les catégories mises en liste dans la section précédente, celles de Leuven-Zwart ne peuvent être placées avec le continuum soi-même versus l’autre parce qu’elles ne sont pas chronotopiques. Dans le changement de "fruit" à "orange", il n’y a pas nécessairement d’appropriation ni de reconnaissance, il y a, toutefois, spécification, indépendamment du co-texte et du contexte.

Les deux approches ont leurs avantages. L’avantagte de la première consiste, par exemple, dans le fait qu’il est possible de considérer aussi les parties du texte qui n’ont pas d’importance stratégique, mais qui, toutefois, existent. Ceci concerne:

  • les aspects de l’axe paradigmatique, du lexique (les mots non inclus dans les cinq catégories indiqués pour le dernier modèle);
  • tous les aspects syntagmatiques et paradigmatiques qui prennent en compte les différences entre la prose et la poésie, et

  • tous les aspects de la syntaxe dans la prose, qui peuvent être plus ou moins marqués.

Les avantages de cette dernière approche, l’approche du haut vers le bas, consiste à mettre immédiatement en lumière les principaux éléments, en les distinguant de ceux en arrière plan. En l’absence d’une analyse chronotopique, la décision concernant les changements en traduction s’adresserait à un élément ou un autre indifféremment, sans tenir compte de leur valeur systémique, en négligeant le dominant et les sous-dominants.

Dans la prochaine section nous verrons s’il est possible de postuler un modèle unique, qui prend en considération les deux visions (du bas vers le haut et du haut vers le bas) et qui incorpore les types de changements possibles prototexte-métatexte.

 

Bibliographie

 

APRESJAN JU. D. Dejksis v leksike i grammatike i naivnaja model´ mira, in Integral´noe opisanie jazyka i sistemnaja leksikografija, Moskvà, JAzyki russkoj kul´tury, 1995, ISBN 5-88766-045-7.

LEFEVERE A. Translating Poetry. Seven Strategies and a Blueprint. Amsterdam, Van Gorcum, 1975, ISBN 90-232-1263-0.

LEUVEN ZWART K. van Translation and original. Similarities and dissimilarities. In Target, n. 1:2 (1989) e n. 2:1 (1990).

MARÍAS J. Negra espalda del tiempo, Punto de lectura, 2000 (original edition 1998), ISBN 84-663-0007-7.

MARÍAS J. Dark Back of Time, New York, New Directions, 2001 (translated by Esther Allen), ISBN 0-8112-1466-4.

TOROP P. La traduzione totale, edited by Bruno Osimo, Modena, Guaraldi Logos, 2000, ISBN 88-8049-195-4.


1 Marías 2000, p. 189.
2 Marías 2001, p. 153.
3 Apresjan 1995, p. 630.


 



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